Des graphiques qui présentent les 7 piliers de l’économie circulaire sont en général divisés en trois parties égales, en suggérant un équilibre de responsabilité entre l’offre des acteurs économiques, consommateurs et gestion de déchets. En réalité, y a-t-il des étapes qui ont plus de poids que d’autres ?
Pour avoir un cercle vertueux, tous les piliers sont importants. Par contre, depuis le début, ils n’ont pas été au même stade de développement. Le dernier pilier, la gestion des déchets, était un des premiers, que tout le monde comprenait et qui a failli écraser les autres. On faisait le raccourci très direct entre l’économie circulaire et le fait de recycler les déchets – le fait renforcé encore par le lobby des entreprises du recyclage, qui s’est positionné très fortement. Par conséquent, le dernier pilier est, depuis le départ, très avancé.
Alors que tous les piliers sont importants, il y en a certains qui sont beaucoup plus complexes à mettre en œuvre. Par exemple, la consommation responsable signifie que l’ensemble des consommateurs sur la chaîne doit avoir un haut niveau de conscience. Par conséquent, nous sommes confrontés à des thématiques très différentes pour professionnaliser les piliers.
Les barrières à l’entrée dans le champ de l’économie circulaires sont aussi très différentes. Prenons l’exemple du bois et du béton : La problématique du béton est liée au CO2. Cette industrie est à la recherche des nouveaux composants, moins polluants, pour le ciment et essaie d’utiliser de l’acier recyclé. L’industrie du bois, qui est plus vertueux de nature, pour augmenter son offre en économie circulaire, va plutôt tenter d’avoir de la prouesse technique plus avancée et se rapprocher des bénéfices du béton. L’objectif est le même, mais les enjeux sont différents. Du point de vue de la dynamique de l’économie circulaire, plus qu’il est fondamental de sortir de la matière et plutôt être sur l’usage et le temps. Cela signifie que l’industrie de la matière et de l’énergie doit modifier son modèle économique autour d’une offre de service. Il ne s’agit plus de vendre l’énergie qui chauffe ou rafraîchit les bâtiments, mais le confort – des espaces agréables thermiquement. La monnaie d’échange n’est plus l’énergie, mais les services rendus. Aujourd’hui nous payons pour le fait qu’on se sent bien à l’intérieur. Un autre exemple significatif est celui des pneus Michelin, qui depuis quelque temps loue ses pneus. Le service, c’est d’avoir toujours des pneus en bon état de marche – ce que le consommateur cherche finalement – et pas d’acheter des pneus. Avec ce modèle économique de location, le service reste équivalent, mais moins de ressources sont consommées.
Comment le 4ᵉ pilier Économie de fonctionnalité peut être réalisé par les architectes et les acteurs liés au bâti ?
Je dis toujours à mes étudiants qu’ils ne vont plus construire des mètres carrés, mais de l’usage. Ça ne sera plus pareil. Peut-être au lieu de construire 2 bâtiments, ils l’en feront un seul, mais conçu pour un usage considérablement plus intensif. Le métier de demain sera donc de travailler sur le multiusage et concevoir des aménagements et des bâtiments les plus multifonctionnels possibles. A ce sujet, vous pouvez lire le livre « L’âge de la connaissance »[1] qui parle de l’abandon de l’économie autour de la matière et le passage vers l’économie de connaissances dont les ressources sont inépuisables.
Et quant aux producteurs et vendeurs de matériaux de construction, nous pouvons imaginer que l’entreprise devrait être responsable du début à la fin de vie de son produit et par conséquent ouvrir une offre de service sur l’entretien, la rénovation, la déconstruction en vue de réemploi etc.. Est la même. moins de matière, mais plus de service.
Quel est selon vous, le plus grand défi pour le secteur de la construction dans l’optique de l’économie circulaire ?
Je trouve que ce qui est le plus difficile dans l’économie circulaire, c’est qu’elle touche plein de métiers. On parle de l’architecture, mais ça rejoint toute suite un modèle économique, donc c’est un tissage entre plusieurs compétences. C’est la raison pour laquelle je trouve l’économie circulaire très intéressant en termes de recherche. Elle ouvre énormément de champs de recherche et d’expérimentation. Mais paradoxalement, c’est pour cette raison qu’il est difficile d’avancer vite ! Il faut affronter la complexité et la systémique en mettant autour de la table des acteurs qui n’ont pas du tout les mêmes métiers, qui n’ont pas les mêmes intérêts et de les faire travailler ensemble. Le pouvoir public, les communes sont les premiers consommateurs et incitateurs de ces démarches. En coopération avec des cabinets d’ingénierie environnementale, ils peuvent identifier des acteurs, traiter des données et quantifier des bénéfices.
Quel pilier, à votre avis, présente actuellement un potentiel le plus inexploité ?
Il est difficile de donner une réponse évidente à cette question. Celui auquel je tiens particulièrement c’est l’économie de fonctionnalité parce que c’est un basculement et un changement de paradigme. On ne s’attache plus à la matière, mais on a un vrai potentiel économique de l’usage. Dans l’industrie, il est facile de passer aux services, mais le passage des professions plus systémiques comme les nôtres avec plus d’imbrications des métiers, est plus compliqué.
Le pilier qui nécessite également beaucoup de travail et qui prendra du temps, c’est surement le prolongement de la durée de vie des bâtiments. Actuellement, il y a toute la complexité des normes, mais aussi du pouvoir politique qui peut assez facilement raser le bâtiment. On a le maire qui trouve le bâtiment moche, le PLU qui permet de construire plus d’un coup, donc on démolit le bâtiment trop petit… Ce n’est jamais le bâtiment physiquement qui ne dure pas assez longtemps, mais tout ce qui est annexe. Cela n’est facilité ni par le processus de fabrication, ou tout est aggloméré donc quand on lève un bout, il y a tout qui s’effondre, ni par des normes qui changent tout le temps. Par conséquent, il est tout simplement plus facile de démolir qu’adapter. La personne qui veut construire bien n’en est pas vraiment le bénéficiaire- ce sont des propriétaires futurs. Je ne sais pas comment le régler. Nous sommes dans l’aire de l’obsolescence programmée, donc nous sommes censés à réfléchir à l’envers.
Il y a aussi le manque de savoir-faire de la part de main d’œuvre. Mais surtout, à la base les architectes ne sont pas formés à la réhabilitation. La mentalité doit changer déjà dans les écoles parce que jusqu’à présent cette spécialisation avait mauvaise presse.
Pour qu’on puisse vraiment avancer le pilier du prolongement de la durée de vie, il faut de la pression de plusieurs cotés : dans les écoles et d’un point de vue politique.
[1] « L’âge de la connaissance », Idriss Aberkane, Éditions Pocket 2019