Il y a plusieurs façons de s’inspirer du vivant dans l’art ou dans la science, mais le biomimétisme est le transfert le plus rigoureux des connaissances du vivant vers des applications pratiques. Il ne s’agit pas de s’inspirer de la forme ou de copier un résultat, mais de l’approche globale et d’une compréhension la plus fine possible du fonctionnement des processus dans la nature. Le monde du vivant constitue un concentré d’ingéniosité. Observer comment la nature fabrique les choses et imiter sa remarquable efficacité, nous amène à concevoir des systèmes (plutôt que des objets) efficaces, économes, adaptables et entièrement basés sur l’économie solaire et les ressources locales.
Le plus souvent, le point de départ pour des solutions biomimétiques est de trouver un équivalent de notre problème et une solution idéale, qu’on observe dans la nature. Pour le moment, trouver un modèle approprié est un vrai défi, car l’approche n’est pas encore systématisée. Mais c’est en train de changer. Notre partenaire, l’association Ceebios, travaille sur la première plateforme de données biologiques BioMig dédiée aux représentants de l’industrie. Cet outil permettra de naviguer facilement dans une immense base de données et rendra le transfert de connaissances beaucoup plus facile.
Cependant, quel que soit notre modèle particulier, la nature nous donne déjà beaucoup de leçons très précieuses en matière d’architecture et de design prêtes à être appliquées.
Moins de matériaux, plus de design
Dans la nature, aucun matériau n’est utilisé sans nécessité. Par exemple les os ou les tiges des plantes sont vides à l’intérieur, mais offrent une excellente rigidité. En plus, les cellules qui constituent l’os viennent déposer les matières uniquement là où cela est nécessaire, contrairement à nos constructions, dont le volume utile pour pouvoir assurer la performance mécanique finalement recherchée est beaucoup plus faible.
Il est intéressant de noter qu’en biologie, il n’existe pas une distinction entre la structure et les matériaux. C’est la hiérarchie qui permet d’unir ces deux aspects. Plus il y a de niveaux hiérarchiques plus les structures sont efficaces dans l’utilisation des matériaux. Les structures hiérarchiques offrent également des avantages en termes de rigidité et de contrôle des fractures grâce aux interfaces entre les structures. La tour d’Eiffel possède trois niveaux de hiérarchie, alors que dans la nature, on peut rencontrer jusqu’à six niveaux.
L’architecture affronte les limites des matériaux disponibles, mais il existe encore une ressource qui est largement sous-évaluée : l’ingéniosité humaine. Investir le capital humain dans le design est probablement la meilleure chose que nous puissions faire. L’unification des matériaux et des structures nécessite les efforts combinés de nombreuses professions – les ressources humaines que nous avons la chance de posséder.
Un exemple de ce mode de conception interactive, pluridisciplinaire, est la CAO (Computer-Aided Optimization) qui permet de simuler la distribution des forces auxquelles une structure est soumise et d’affiner sa forme. Il ne s’agit plus d’une forme imposée, mais de la résultante d’une compréhension de la particularité d’un cas. L’exemple d’une telle approche peut-être le pont imprimé en 3D par Joris Larman Lab.
Réactivité
En termes de contrôle physique, les organismes biologiques sont complexes et très réactifs : auto-réparateurs, auto-régulateurs et régénératifs, alors que nos bâtiments ont tendance à être relativement simples et peu réactifs.
Comme les organismes vivants, nous voulons maintenir des conditions stables dans les bâtiments. Pour cela, les animaux modifient les structures ou le comportement pendant que nous utilisons de l’énergie et des ressources pour refroidir ou chauffer nos bâtiments et nous les équipons de capteurs pour qu’ils soient intelligents. Mais un bâtiment vraiment intelligent serait fait de matériaux capables de réagir aux conditions changeantes comme le font des enveloppes de bâtiments adaptables au climat (CABS).
L’exemple d’une telle enveloppe est l’Esplanade Theater à Singapour qui se compose de persiennes triangulaires qui s’ajustent en fonction de l’angle d’ensoleillement pour contrôler l’entrée de la lumière dans la structure. Un autre projet très inventif de système adaptable de toiture a été conçu par Salmaan Craig utilisant la méthodologie BioTRIZ où la plupart des rayons du soleil sont réfléchis pendant la journée et où, la nuit, la structure est capable de perdre de la chaleur par rayonnement.
Systèmes basés sur l’économie solaire
Les organismes biologiques fonctionnent entièrement grâce au capital solaire actuel. La couverture de nos besoins par l’énergie solaire est pour l’instant anecdotique, mais le potentiel solaire est énorme. Malgré l’abondance de l’énergie solaire, la nature s’épanouit en utilisant toujours le minimum d’énergie nécessaire. Quelle que soit l’énergie que nous utilisons, le plus important est alors de réduire la consommation inutile !
Un moyen par lequel la nature s’adapte aux fluctuations de l’approvisionnement en énergie est tout simplement de faire plus de croissance ou de métabolisme lorsqu’il y a de l’énergie disponible et moins lorsqu’il n’y en a pas. À cet égard, la logistique et la gestion ont un vaste champ d’action. Il s’agit d’éteindre les équipements pendant les pics à court terme ou de faire varier le coût de l’électricité pour redistribuer la demande.
Finalement les organismes se sont adaptés pour stocker l’énergie sous forme de sucres et les animaux sous forme de graisses pour avoir des réserves essentielles. Nos équivalents en ingénierie sont les batteries et les pompes qui devraient nous servir pour couvrir nos besoins fondamentaux.
Utiliser les matériaux non toxiques et les combiner correctement
Contrairement à la matière vivante dont 96 % est constituée de quatre éléments : carbone, oxygène, hydrogène et azote, nous utilisons la totalité de la table de Mendeleïev pour nos créations. Or la nature nous apprend que la capacité de créer des matériaux robustes et entièrement biodégradables réside dans une combinaison appropriée. Un mélange de protéines, les polysaccharides et de certains sels (principalement de calcium), confère aux matériaux des propriétés souvent supérieures à nos polymères et nos composites.
Nos combinaisons ne sont pas toujours réussies. Les plus problématiques sont les composites synthétiques comme la fibre de verre qui combine une fibre et une résine d’une manière qui rend impossible le recyclage. Autres exemples : les composites de béton et de tôles d’acier (l’acier coulé dans le béton empêche la séparation des matériaux) ou les unités de double vitrage (le revêtement à faible émissivité contamine le processus de recyclage du verre). Il y a certainement beaucoup à faire dans le domaine des matériaux, mais il y aussi des solutions qui permettraient potentiellement d’inclure les flux de matériaux dans des boucles Le géo-polymère ciment ou pouzzolane en tant que composant du béton pourrait remplacer les ciments problématiques. Le verre spectralement sélectif pourrait être une alternative pour les unités de double vitrage. Toutefois, une règle que nous pouvons appliquer, quel que soit le niveau d’innovation, est d’éviter les matériaux toxiques et les hybrides malheureux, lorsque nous le pouvons.