Comment l’idée de valoriser l’herbe est-elle née ?
Il y a plus de dix ans, l’ingénieur agronome Stefan Grass s’est intéressé aux pouvoirs isolants de l’herbe. Il est allé investiguer ce domaine et l’a développé avec l’aide de l’EPFL. Ils ont mis sur le marché le premier isolant à la base d’herbe sous le nom de Gramitech. Puis Christian Roggeman a repris le brevet et durant deux années a travaillé avec Stefan pour développer Gramitherm.
Au début, nous produisions en passant par des prestataires de services, en essayant de déployer des activités en Suisse, en Autriche ou en France. Finalement, nous avons trouvé des capitaux belges qui nous ont permis de produire nous-même en Belgique. Nous avons installé une usine de production à Auvelais près de Namur il y a deux ans, avec une capacité de production de 200 000 m³/ an. Depuis 2020, nous voyons que la demande augmente doucement, mais surement.
En tant que startup, nous sommes confrontés à de nombreux défis. La Solar Impulse Foundation créée par Bertrand Piccard, nous a octroyé le label Solar Impulse efficient Solution, ce qui nous a donné de la visibilité. Au moment où je vous parle, Gramitherm, au travers de la rénovation d’une grosse école près de Namur, est présent dans le guide Solutions for cities à la COP 27. Nous sommes aussi aidés par la région Wallonne, assez dynamique dans le domaine de l’écoconstruction et dont nous avons obtenu le label biosourcé, filière wallonne.
Qu’est-ce que cette herbe ‘perdue’ que vous utilisez pour vos isolants ?
L’herbe perdue, c’est l’herbe qui n’est pas destinée au fourrage des animaux. C’est tout simple : on utilise une herbe qui de toute façon va être coupée pour l’entretien. Par exemple, nous utilisons l’herbe provenant de l’entretien de 350 km de canaux en Belgique. Nous travaillons aussi avec l’herbe des aéroports et des autoroutes.
La composition de l’herbe est-elle importante pour assurer ses propriétés ?
Non, parce que ce qui nous intéresse et qui a un pouvoir isolant dans l’herbe, c’est la fibre. Cette fibre lignocellulosique, petit frère du bois, est présent dans chaque herbe. Bien sûr, il faut qu’elle ait une certaine qualité et une hauteur d’au moins 6 cm. Ce n’est pas de l’herbe de tonte de gazon entretenu chaque semaine.
En quoi se traduit l’économie circulaire dans votre entreprise ?
L’approche circulaire s’applique chez nous à chaque étape de la production. Déjà, nous obtenons la matière première dans un processus vertueux. Mais également, pour sa transformation, la nature nous donne tout ce dont nous avons besoin. C’est l’herbe qui nous fournit l’énergie nécessaire à son séchage et à la travailler. On sépare la fibre du jus vert de l’herbe. Ce jus à travers la méthanisation nous donne du biogaz qui permet de sécher et de travailler la fibre.
D’autre part, notre ligne de production de panneaux, utilise très peu d’énergie : nous captons beaucoup plus de carbone que nous n’en dégageons. Au total, notre bilan carbone est négatif : un kilogramme de Gramitherm absorbe 1,5 kg de CO2. Nos démarches ont été appréciées en 2018 avec le prix Bouygues de l’économie circulaire, et en 2022 avec Trends Impact Awards (catégorie économie circulaire).
Notre entreprise répond à une vision développée lors des différentes COPs, ‘Think global, act local’. Tous les gens qui travaillent dans notre usine viennent du village dans laquelle nous sommes implantés, l’herbe provient de 100 km de l’usine. Notre écosystème peut se reproduire partout où il y a de l’herbe.
Comment gérez-vous les périodes sans approvisionnement en herbe ?
Encore une fois, la nature nous aide ! Nous effectuons deux à trois coupes par an. L’herbe coupée peut ne pas être utilisée dans l’immédiat et va être mise en ensilage, c’est-à-dire en milieu en anaérobie. Les caractéristiques de l’herbe sont maintenues pendant deux à trois ans, ce qui fait que notre approvisionnement est constant.
Qu’est-ce qui distingue l’isolation Gramitherm parmi d’autres produits ?
La particularité de Gramitherm est qu’on ne cultive rien. On ne fait que couper. Au niveau de la mise en œuvre, l’isolation en Gramitherm est douce et très facile à manipuler. Gramitherm, isole du froid, des chaleurs d’été et régule l’humidité. Gramitherm absorbe aussi les bruits et enfin présente un bilan carbone exceptionnel.
Il est important pour moi de noter qu’avec les producteurs d’autres matériaux biosourcés, nous avons un objectif commun : éviter l’utilisation des laines minérales quand cela est possible. Nous sommes tous complémentaires et travaillons ensemble. Nos panneaux étaient par exemple utilisés dans la construction du cluster Ecoconstruction en Bois /paille et herbe (construction hors site). Notre biomasse en cumulée sur 50 ans capte beaucoup plus de CO2 que du bois, car c’est le matériau biosourcé le plus rapidement renouvelable.
En fin de vie (estimée à 50 ans), les panneaux Gramitherm sont recyclables. Peut-on en faire réellement de nouveaux avec les anciens ?
Exactement. Nous produisons des panneaux 60 cm x 120 cm et toutes les chutes de coupes sont déjà récupérés, broyés et réutilisés dans d’autres panneaux. De même pour nos clients, nous fournissons des big bags et nous récupérons les chutes de chantier pour les rebroyer et les réintégrer dans la ligne de production. Cinquante ans, c’est la durée de vie estimée dans un laboratoire, mais l’isolation va durer peut-être plus.
Nous faisons comme les anciens : nous utilisons ce qui est proche de nous. Dans les pays nordiques, il y a des maisons du XIIᵉ siècle isolées avec de l’herbe qui en témoignent encore.
Avec les matériaux biosourcés, on pérennise l’habitation. Par exemple, la laine de verre utilisée dans des zones humides ne résiste pas, ce qui a été constaté notamment dans les zones subtropicales de la Chine.
Y a-t-il des contraintes règlementaires pour l’utilisation de Gramitherm ?
Nous avons un Agrément Technique Européen (ATE) délivré par DIBT Berlin qui nous ouvre la capacité de travailler partout en Europe sauf en France où il y a des exigences particulières.
En termes de prix, les panneaux Gramitherm sont-ils concurrentiels par rapport à des isolants conventionnels ?
En Belgique, nos panneaux sont moins chers que la laine de roche. Ce prix va rester plutôt stable, car nous utilisons très peu d’énergie. Si le prix augmente légèrement, cela sera du fait du transport ou du stockage.
Par Anna Juda