Les roseaux utilisés pour la construction poussent naturellement dans des zones humides. Comment cette plante est-elle récoltée et par qui ?
La plupart des roseaux poussent dans des zones de réserves naturelles. Il faut donc travailler en coordination avec les responsables des parcs naturels. En Camargue, seuls des récolteurs disposant d’une licence d’exploitation sont autorisés à moissonner les roseaux, car il y a beaucoup de règles à respecter pour ne pas dégrader ces milieux. La plupart du temps, pour passer avec la machine, il faut baisser le niveau d’eau de l’étang. Toutefois, en fonction de la localisation, la récolte peut se dérouler différemment. Par exemple, dans les pays de l’Est, les récolteurs doivent attendre que le sol gèle.
Le choix de la machine pour ne pas laisser de traces est crucial. Il existe différents types de machines artisanales : des machines qui flottent ou celles qui roulent. Dans des endroits où le niveau d’eau ne peut pas être ajustés, il faut créer des machines spécifiques. C’est du bricolage réalisé par des personnes qui connaissent les conditions d’exploitation d’une réserve naturelle. Donc, en fait, les machines sont créées au cas par cas.
Pourquoi faut-il couper la roselière si on veut préserver cette plante ?
Les endroits où l’on moissonne, on doit le faire chaque année. Si on ne coupe pas une année, l’année suivante la récolte va être mélangée avec les tiges qui ont un an. Celles-ci sont beaucoup plus poreuses et moins solides ce qui donnerait un matériau non uniforme. Mais il faut noter que la roselière n’est pas perturbée dans son cycle à cause de la récolte. C’est une plante annuelle coupée en période hivernale entre décembre et février quand les tiges sont bien sèches.
C’est aussi un grand avantage du roseau : il n’y a pas d’étape de séchage. Une fois qu’il est récolté, il est déjà prêt pour l’utilisation.
De quelle quantité de roseaux dispose la France ?
Les roseaux se trouvent à peu près partout en France. Cependant, principalement la région de Camargue les commercialise avec près de 2000 ha coupés par an. Le roseau est aussi récolté ailleurs traditionnellement, en Bretagne ou en Normandie, mais de façon marginale et manuelle. Dans plusieurs endroits, la filière pourrait être développée, mais cela présente un certain nombre d’enjeux environnementaux et économiques, car plusieurs acteurs doivent s’engager pour créer une chaine, former les gens et tout cela sans détériorer les milieux naturels protégés. En Camargue, nous avons de la chance parce que ce travail a été déjà fait. La récolte correspond à une certaine demande qui est aujourd’hui essentiellement pour la fabrication de paillassons, utilisés comme brises-vue, brises-vent ou comme couverture de tonnelle et pergolas. Le roseau est aussi traditionnellement utilisé pour la réalisation des toitures de chaume. Étant donné la demande croissante pour ces deux utilisations, la Camargue est fortement sollicitée et toute la production annuelle actuelle est utilisée. Toutefois, on a des ressources bien plus grandes que celle que l’on exploite. Il est possible d’augmenter la récolte en Camargue ou de l’étendre à d’autres régions.
Qu’est-qui caractérise l’isolation en roseaux ?
Premièrement, puisque le roseau pousse dans l’eau, il est donc très résistant à l’humidité, il ne l’absorbe pas, et les panneaux fabriqués sont perspirants. Pour cette raison, avec le roseau, on peut travailler directement sur le mur sans pare-vapeur et sans pare-pluie. C’est impossible avec un autre matériau d’isolation conventionnel, par exemple avec la laine de verre qui serait toute suite imbibée d’eau. Le roseau est de ce fait un excellent choix pour des rénovations sur du bâti ancien où si l’on a des problèmes d’humidité. Deuxièmement, il ne nécessite pas d’être traité avant l’utilisation, ce qui est très pratique et écologique.
Cependant, en ce qui concerne le coefficient lambda, la classe de comportement au feu, etc., ils n’ont pas été déterminés en France, car ce matériau n’a pas été normé. Il a été normé en Allemagne et c’est de là que proviennent les informations sur lesquelles nous nous basons.
Dans ce cas, comment se passe aujourd’hui, en France, le travail avec ce matériau ?
La normalisation est une des étapes importantes à franchir si on veut passer à la production industrielle de panneaux d’isolation en roseaux. Aujourd’hui, nous avons l’habitude d’une utilisation traditionnelle des roseaux. Cela signifie qu’on ne tient pas compte du caractère isolant du roseau. On utilise le panneau de roseau comme support d’enduit pour la chaux et la terre, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais on est obligé d’isoler indépendamment. Bien que le roseau améliore le rendement thermique, on ne peut pas malheureusement le citer pour son pouvoir isolant.
Nous travaillons avec un partenaire, Batilibre, qui a déjà accumulé une certaine expérience dans le travail avec ce matériau. Tout leurs renseignements viennent d’Allemagne. Ils savent quel poids les panneaux vont supporter, combien de points de fixations sont nécessaires, dans quelles conditions on peut utiliser les panneaux de roseau, etc. Sauf que ce n’est pas valable en France.
En ce qui concerne les assurances, Batilibre donne une garantie sur ses chantiers comme quoi la maison n’aura pas de fissures et de dégâts. Après, c’est le propriétaire de la maison ou le responsable, pour le projet d’un bâtiment publique, qui assume la responsabilité du choix des matériaux. Il n’y a pas de cahier de charge.
Avant que vous développiez la filière, faut-il que le matériau soit normé ?
Non. La première étape est de développer l’aspect commercial avec des panneaux d’importation. Aujourd’hui, nous importons des panneaux des pays de l’Est. Nous savons que l’énergie grise qui est en principe très faible pour ces panneaux devient très importante pour les panneaux importés à cause du transport. Mais c’est seulement si il y avait un accroissement de la demande en France que nous pourrions alors envisager un investissement ( coûteux )dans les machines nécessaire pour une fabrication locale .
Nous sommes activement en recherche de machines d’occasion, mais pour l’instant, nous n’arrivons pas à en trouver une. Les quelques personnes qui en possèdent dans les pays de l’Est, ne veulent pas les vendre. À cause de cela, nous serons probablement obligés de passer par l’étape de la conception par ingénieurs et par une fabrication de A à Z en prenant l’exemple des machines qui existent déjà. Il s’agit d’un processus non seulement coûteux, mais également long, car concevoir et fabriquer une machine prendrait au moins 2 ans.
À partir du moment où on aura lancé la production, on pourra faire les investissements qui permettront de normer le matériau. En restant sur la production artisanale, on pourrait aussi continuer sans le normer, mais nous souhaiterions bien évidement développer la filière industrielle parce que nous voyons que le roseau répond à plusieurs enjeux.
À votre avis, qu’est-ce qui pourrait populariser ce matériau auprès des clients et augmenter la demande ?
Tout d’abord, il faut que nous arrivions à sécuriser l’approvisionnement. C’est un matériau qui attire déjà pas mal les architectes, maitres d’œuvre et particuliers. Le problème avec des panneaux importés est qu’il y a souvent des ruptures de stock. Le défi pour nous est donc de constituer un stock important qui nous permettra de fournir tout au long de l’année. À ce moment-là, par le bouche-à-oreille, on va facilement attirer des gens qui cherchent des solutions innovantes et biodurables. Même si l’utilisation du roseau est vieille comme le monde, sa mise en œuvre sous de nouvelles formes ( comme le panneau ) permet l’émergence de concept innovant pour la construction contemporaine, qui se doit de répondre à de nouvelles problématiques environnementales, énergétiques et sociales.
Quels sont les applications les plus intéressantes pour le roseau selon vous ?
Les roseaux peuvent remplacer plusieurs matériaux, par exemple, au lieu d’un bardage en bois on pourrait utiliser le bardage en panneaux de roseau.
Mais le plus intéressant selon moi, c’est le coffrage perdu et la terre coulée. D’ailleurs, j’ai conçu un projet de maison expérimentale, que j’espère pouvoir réaliser et pour lequel je recherche des partenariats éventuels et un financement. C’est le concept COBRA ( qui signifie : Construction Ossature Bois Roseau Argile ), faite essentiellement de roseaux et de terre coulée. On utilise très peu de bois (uniquement des tasseaux de 5×8 cm) pour l’ossature qui repose sur un ballast. Un grand avantage du coffrage perdu est qu’on peut utiliser de la terre locale, pas forcément très argileuse. Même avec de la terre de basse qualité on va obtenir une construction très lourde, stable et solide, d’une très bonne inertie thermique due à la terre et aux parois de roseaux qui forme un mur perspirant avec un déphasage intéressant. Tout cela permet un grand confort de vie à ses occupants.
Cette technique permet aussi la rapidité de construction. Il suffit de monter l’ossature, fixer des panneaux en roseaux des deux côtés et remplir les murs au milieu avec de la terre coulée, qui seront ainsi contreventés. Après quelques jours seulement de pré séchage, on peut continuer à construire la maison pendant que les murs continuent de sécher naturellement. Même en hiver, le mur va quand même évacuer de l’eau à travers les panneaux de roseau. Ensuite, nous pouvons poser nos éléments de charpente et de toiture.
Une fois qu’on a des murs, il faut mettre un isolant, une couche de roseaux et un enduit. Et, évidemment, l’isolation est posée seulement de l’extérieur pour profiter de l’inertie de la terre qui va garder l’habitat frais en été et chaud en hiver.
À partir du moment où vous enlevez le bois, le placoplâtre, l’OSB, le béton et la peinture, vous obtenez une construction véritablement biodurable et le coût sera aussi bien moindre . Il faut également prendre en compte les économies sur les coûts de réalisation, car la mise en œuvre est très simple et rapide. Ce type de construction convient pour des utilisations variées: des habitats, des garages, des locaux commerciaux, des ateliers.
Comment une telle structure est-elle réversible ?
Réversible signifie que si vous voulez un jour supprimer votre maison, vous ne laissez presque aucune trace. Après des années d’utilisation, on peut imaginer qu’il suffit de démonter les murs pour faire bruler les panneaux, récupérer le métal – des agrafes, des vis – et il ne va rester qu’un petit tas de la cendre. Pourtant, il faut souligner que ce n’est pas si facile de faire bruler les panneaux en roseaux – il faut vraiment le vouloir – mais c’est possible. Il ne restera alors qu’un tas de terre et une trace de tranchée dans le sol remplie des pierres.
Par Anna Juda